Archives du Théâtre 140


Au théâtre 140, 'Le Bread and Puppet Theatre'



La Libre Belgique

?-9-1976

Au théâtre 140

"Le Bread and Puppet Theatre"

Un cheval blanc, stylisé, grandiose, superbe. Il gambade en révélant l'image de la beauté pure. A ras de terre, cependant, s'infiltrent des cloportes gris, monstres visqueux. Ils cernent le cheval, blessent ses flancs, le mettent à mort. Une mort ressentie comme une profanation. Après le carnage, le temps passe. La carcasse calcinée, disloquée, gît lamentablement. Ce fossile n'éveille même plus le moindre intérêt pour un cénacle de savants bardés de connaissances. Mais qu'un étrange personnage agité, halluciné, un peu fou surgisse en scène en tourbillonnant et sa magie opère : le cheval blanc reprend forme et souffle en une irrésistible résurrection. Après avoir fait éprouver ce que peuvent être l'ignoble et l'ignominie, le « Bread and Puppet Theatre » suggère admirablement le sublime et l'indicible...

Toute cette seconde partie du spectacle constitue un chef-d'œuvre de théâtre symbolique, muet, « ouvert », fournissant des clefs pour différentes grilles de lecture: à chacun selon sa subjectivité affective, ses hantises, ses croyances... Mais on atteint ici au pathétique par des moyens d'apparence simple, en fait supérieurement concertés. La salle crépite de bravos. Elle salue avec chaleur le retour au « 140 » de la troupe new-yorkaise de Peter Schuman. C'est sa manière de dire combien elle a été tenue sous le charme, combien elle a été émue et combien elle a ri, car en première partie, c'est l'humour qui s'installe, ravageur, insolent, impitoyable pour une série de mythes, américains ou non, passés ici au crible du grotesque et de la dérision.

Le « Bread and Puppet Theatre » pratique un art abouti dans le sens, aujourd'hui nécessaire, de la fusion des genres et du « spectacle total ». Au vieux cirque engourdi, il confère des couleurs caricaturales mais nouvelles. Il emprunte aussi au mime, à guignol, aux marionnettes, aux masques, aux paraboles, au cinéma non parlant, aux parades foraines, au dessin animé, à la lenteur, à la vitesse, à la musique à bouche nasillarde, à la crécelle, au tambour, aux arts plastiques (les emballages, les trompe-l'œil, les éléments de décor), à la marche sur échasses, très hautes, portant l'exécutant, déguisé en Uncle Sam, jusqu'aux cintres.

Tandis que les sketches stigmatisent le grégarisme du monde moderne dans le métro, les Jeux Olympiques, l'installation d'une dictature, le faux enjouement des majorettes, les conformismes des numéros de variétés qui ont traîné partout, les impresario bonimenteurs, les trouvailles abondent... C'est « funny », « absurde »... On pense à l'irruption des Marx Brothers et de Mr McGoo dans les « cartoons » de « Mad », à une sarabande où les Branquignols de Robert Dhéry donneraient le bras à Fra Diavolo et à Mel Brooks. A la rencontre de Molière et de Mickey Mouse aux sons de « Ma Tonkinoise », aux sculptures de Segal, à un Théâtre en noir de Prague qui montrerait ses astuces... Tout ceci, bien sûr, avec le constant clin d'oeil du second degré, quelques faiblesses, toutes relatives, très vite rachetées par un professionnalisme de haute efficacité qui devrait être la honte de certains suiveurs-faiseurs prétentieux à l'excès.

J. P.

Auteur J.P.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) The White Horse Circus

Date(s) du 1976-09-28 au 1976-09-30

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Bread and Puppet Theater