Archives du Théâtre 140


'Le Cirque du cheval blanc' au 140: un 'Bread and Puppet' visuel



Le Soir

30-9-1976

« Le Cirque du cheval blanc » au 140 : un « Bread and Puppet » visuel

C'est un beau spectacle, touchant, modeste, d'une précision scénique adorable, que ce « White Horse Circus » que le Bread and Puppet, version 76, déplace depuis mardi soir et pour deux jours encore sur la scène du Théâtre 140.

Un théâtre qui, de toute évidence, convient mal aux préoccupations théâtrales de Peter Schumann et de sa troupe. La première partie, en effet, n'est autre que la succession de numéros de cirque avec ses prestidigitateurs, ses acrobates, ses duettistes, ses dresseurs d'animaux, ses clowns. Ils ne seraient jamais que la nième resucée du genre sans les masques et les marionnettes, image de marque indélébile du « Bread », sans aussi cette exquise fureur et cette critique sociale — Amérique mon cher souci — qui en déplacent légèrement l'humeur bon enfant.

L'économie de moyens, on la pousse ici jusqu'en ses derniers retranchements. La musique est quasi pieuse. Pour tout costume, des loques et la dérision, quand elle fonctionne, n'opère quasiment plus que dans la naïveté. On serait tenté d'écrire candeur. C'est qu'il y en a dans ce trio de phoques, fantômes de banquise hoquetant comme au premier jour et qui ne se laissent apprivoiser qu'à contrecoeur. Dans cette danse du monde, échasses en tête, farandole à dragon à la façon chinoise, absurde, grotesque dans ses démesures et ses mascarades.

On est au cirque ou au domaine des fées. On ne sait, tant la baguette de ces magiciens opère avec une délicieuse aisance. Tout ceci pourtant n'est que prologue et gâterie, car en seconde partie, on retrouve tout à coup la dimension tragique du Bread and Puppet en entrant de plain-pied dans le titre : la légende du Cheval blanc. Avec son enclos, sa pureté bafouée, son oiseau-lyre, ses chasseurs-tueurs, sa curée qui se ponctuent sur la résurrection du cheval massacré dans un ballet surréaliste d'une précision technique rare et d'une foudroyante beauté plastique.

Mais cette légende universelle, dont on pourrait retrouver les traces aussi bien en Europe qu'en Asie, le Bread and Puppet la revendique entièrement, et la personnalise dans une féerie dramatique qui recourt aussi bien aux masques d'inspiration grecque qu'à l'imagerie onirique sur base de

costumes et d'accessoires évanescents et immaculés.

Cette vocation pour des thèmes naïfs, voire enfantins, cet appel d'air théâtral qu'on verrait mieux fonctionner dans les rues ou à l'occasion d'une fête quelconque que sur une scène, m'est tout de même apparue davantage comme une succession de tableaux vivants, luxueux dans leur mise en place, que comme le tremplin frémissant et lyrique d'une allégorie. Manque de rythme, côté déjeté et claudiquant des raccords techniques, ce sont là accidents de première. Il y a gros à parier que, remis de leur fatigue, les comédiens du Bread retrouveront la foulée irrésistible de leurs productions antérieures.

Tel quel « Le Cirque du Cheval blanc » est à voir même s'il y entre plus d'admiration que de véritable communication.

ANDRÉ DROSSART.

Auteur André Drossart

Publication Le Soir

Performance(s) The White Horse Circus

Date(s) du 1976-09-28 au 1976-09-30

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Bread and Puppet Theater